« Ce qui m’intéresse avant tout dans l’art, c’est sa faculté d’émouvoir, et cela hors du temps et de toute mode. L’artiste ne choisit pas le contenu de son art, il le subit à travers ses propres doutes, tâtonnements et difficultés en demeurant à l’intérieur de l’évènement. Il lutte contre l’éphémère et tend conséquemment à l’essence et à l’immuabilité. »

Les débuts

Né dans une famille modeste d’un père ouvrier et d’une mère au foyer, Gilbert Piller se montre très tôt intéressé par la peinture. Son talent est précoce, comme en témoignent ses premiers travaux, des paysages réalisés à l’adolescence dont la maîtrise est remarquable compte tenu de son jeune âge.

Après l’obtention de la Maturité — il est le seul élève d’origine populaire au sein de sa promotion —, Piller poursuit ses études et devient enseignant de dessin. Il ne le restera que deux ans. En effet, après avoir sillonné l’Italie puis la Grèce, l’émotion est telle devant les piliers de la civilisation européenne qu’il décide de quitter la sécurité du salariat pour se vouer corps et âme à son art. C’est ainsi que, en 1966, il arrive à Paris, capitale des artistes.

Paris

A Paris, Piller fait promptement la rencontre du peintre Sam Szafran et du sculpteur Etienne Martin, avec qui il se liera d’amitié. Le fondeur Turridu Clementi lui présente également Jean-Paul Riopelle et Joan Miró, qui font réaliser leurs sculptures dans sa fonderie de Meudon. C’est là même que sera produit son premier bronze, un torse d’homme qui n’est pas sans rappeler les sculptures grecques qui l’ont tant marqué ainsi que celles de Michel-Ange, à qui il voue une admiration sans borne.

En 1971, il expose au Salon de la jeune sculpture puis, dès l’année suivante, au Salon de Mai, sur recommandation d’Etienne Martin. On y découvre, outre sa sculpture, de magnifiques séries de dessins au fusain, « grands nus projetés dans une sorte d’explosion volcanique », comme les décrira l’écrivain et critique d’art Paul Nizon, soulignant que « tous ont quelque chose de monumental et de dramatique qui immédiatement s’impose ». C’est durant cette période encore qu’il fait la rencontre de Diego Giacometti. Celui-ci lui fait découvrir l’atelier de son frère Alberto et, lui relatant en détail comment ce dernier travaillait et comprenait la terre, l’encourage sur sa voie.

Le jardin

Le milieu des années 1970 voit Piller opérer une mue : délaissant la sculpture et le fusain, il consacre désormais ses efforts au pastel. Les nus s’estompent et, à travers l’apport de couleur, se métamorphosent en une végétation luxuriante. Si, en apparence, il s’agit d’une rupture par rapport à sa période précédente, on devrait y voir plutôt une continuité : comme le rappelle encore Paul Nizon, « à regarder les pastels de plus près, on peut deviner dans la membrure toute charnelle du feuillage la trace de l’anatomie féminine, et l’atmosphère d’ensemble respire les bacchantes ».

Ces formes végétales s’épanouissent par la suite dans les huiles, matière que Piller redécouvre alors, l’ayant abandonnée au cours de la décennie précédente. A l’invitation de la galeriste Marie-Louise Jeanneret, il se rend à Boissano, en Ligurie, dans le Centre International d’Expérimentations Artistiques qu’elle a créé avec Simon Spierer et qui accueille des personnages célèbres tels qu’Andy Warhol, Mark Rothko ou encore Frank Stella. Jusqu’en 1985, Piller y fait plusieurs séjours et y réalise de grands polyptyques au pastel et à l’huile, qui comptent parmi les sommets de son œuvre.

La lumière

En dehors de certaines ventes prestigieuses – le Musée d’Art Moderne de Paris acquiert l’un de ses pastels en 1980 – et d’expositions mémorables telles que celle, en 1985, où il est exposé en compagnie des artistes suisses Isabelle Waldberg et Bruno Müller, l’événement majeur de ces années, pour Piller, est la découverte de l’Egypte. Accompagné d’Annette, son épouse, il visite pyramides, sanctuaires et temples. Saisissant l’opportunité de participer à une mission du CNRS dans le temple de Karnak, il a la chance de pouvoir y passer plusieurs nuits entières, baignant au milieu de fresques de Moyen et du Nouvel Empires, et il en profite pour s’imprégner profondément de cette civilisation millénaire.

Plus que tout, c’est la lumière de l’Egypte qui le marquera durablement. En effet, au fil des décennies qui vont suivre, toute la peinture de Piller sera dominée par une recherche effrénée de lumière, à mesure que s’effacent les formes végétales au profit de taches et de jets. Peu à peu, la peinture se raréfie sur la toile, qui devient elle-même un élément primordial de la composition de ses œuvres, prenant de plus en plus souvent une place même prépondérante.

En 2008, la revue d’art Le Cahier Dessiné, dirigée par l’écrivain Frédéric Pajak, consacre un dossier sur ses pastels incluant de nombreuses reproductions et introduit par un texte de Paul Nizon. Plusieurs expositions importantes ont été organisées depuis, à Meudon et à Paris notamment. Piller vit actuellement à Genève, où il poursuit sa quête avec vigueur et détermination.

Film portrait sur Gilbert Piller (réal. David Reichenbach)

« Plus la science des volumes, des proportions et des couleurs en fonction de mes émotions est grande, plus la vérité intérieure est traduite. Ces vertus formelles sont le véhicule des sentiments. Ceux-ci ne se livrent à l’amateur qu’après une attention vigilante et une contemplation prolongée devant la peinture ou sculpture, fleur ou fruit de la synthèse du voir, sentir et faire de l’artiste. »