A un moment donné, plus exactement dans les dix années comprises entre 1967 et 1977, notre prophète de la lumière et moine botaniste, disciple de Matisse et Bonnard dans les contrées de l'enchantement végétal, ce François d'Assise dont on aurait pu croire qu'il était l'adversaire déclaré des noeuds de vipères, découvre la FEMME et du même coup se découvre non seulement comme esclave de la chair mais comme sculpteur, se mettant alors à créer une suite d'oeuvres puissantes, essentiellement des torses, assortis d'une série de grands nus exécutés au fusain et projetés dans une sorte d'explosion volcanique, signes des éblouissements et des tourments face à la primitive violence animale de la femme.
Tous ont quelque chose de monumental et de dramatique qui immédiatement s'impose. Ce sont, comme je l'ai dit, des torses sans tête ni bras, concentrations de seins, de ventres, de fesses, de cuisses - débordements de fertilité féminine; et ces morceaux d'anatomie qui envahissent l'espace, faisant sauter toutes les entraves, sont jetés sur la toile fouettée et sabrée par la sauvagerie du trait, de sorte que le corps féminin ne prend pas seulement forme comme sous l'effet de tressaillements, dans des contorsions de souffrance et de jouissance, mais devient chair par excellence (aux yeux de l'observateur), provoquée et provocante, mais surtout torturée et torturante.
C'est moins là l'oeuvre d'un admirateur de la femme que d'un possédé, exalté jusqu'aux confins de la folie sous l'effet du désir et de la peur. Ces corps féminins sont pris dans l'étreinte sacrificielle de lignes qui se superposent et s'entrelacent comme des marques de lacération - rien d'étonnant à ce que cette bataille se déroule dans un clair-obscur baroque de la passion. Comment se fait-il que notre jardinier, l'espace d'un moment, se soit soudain comporté en Géricault, comme si l'enjeu était de maîtriser un cheval emballé et de dompter un animal sauvage? Je connais trop peu la biographie de Gilbert Piller pour pouvoir répondre à cette question. Ces grands nus féminins au fusain qui accompagnent cet intermède de sculpteur font figure d'exception dans son oeuvre, contrepoint unique sur fond de recherche de beauté végétale, avide de lumière: sa zone d'ombre. Il nous dit que l'anatomie dramatisée de ses nus féminins est ensuite passée, d'une certaine façon, dans l'opulence végétale des pastels qui ont suivi. La jungle de ses jardins serait donc des mutations du principe féminin, monde de pulsions, transfiguré dans la recherche du paradis.
Si l'on fait abstraction de ces spéculations, il reste que ces témoignages remontant bientôt à trente ans en arrière, ces dérivés de son activité de sculpteur, ont conservé toute leur fraîcheur, leur force et surtout leur originalité ou, pour le dire autrement, qu'ils ont su résister à l'usure du temps. Pour les collectionneurs, une raison de se réjouir.

Paul NIZON (traduit par Pierre Deshusses) dans:  GILBERT PILLER fusains, exposition Galerie Jonas, Petit-Cortaillod/Neuchâtel, octobre 2004.

Les fusains de Gilbert PILLER

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